America Vera-Zavala – Des livres à Diyarbakir
America Vera-Zavala – Des livres à Diyarbakir
Texte original sur Znet
Monsieur le maire Abdullah Demirbas a 17 chefs d’inculpation portés à son encontre par l’Etat turc. Son cas a atteint la plus haute cour de justice du pays, où il fait face a des accusations qui relèvent de la loi criminelle ainsi que de la loi administrative. Si il est jugé coupable, il peut être condamné à la prison et lui et la totalité du parlement local pourraient être forcés à la démission.
Quels sont donc vos crimes, Mr Demirbas, lui ais-je demandé. Nous sommes assis dans son bureau, avec vue le vieux mur de pierre de Diyarbakir. La municipalité de Sur est la plus centrale et la plus historique de la ville. La table du maire est en bois massif sombre, et occupe un vaste espace ; il est grand et bien bâti, et derrière lui au mur se trouve un minuscule portrait d’Atatürk. D’après la loi turque, tous les bureaux de maires doivent en avoir un, mais le maire peut au moins en choisir la taille. Avant de répondre à ma question, il nous apporte des sacs remplis de livres. « J’ai publié ces contes de fées en kurde ainsi qu’en turc. Il y a cinq livres qui contiennent 365 contes, pour que les parents en aient une pour chaque soir de l’année. Voilà un crime. »
La nation turque est basée sur l’idée d’Atatürk qu’aucune minorité ni langue ethnique n’existe en dehors du turc. Durant une courte période elles existèrent, lorsque la Turquie signa le traité de l’Union Européenne pour les droits des minorités durant les négociations pour l’entrée dans l’UE. Les kurdes semblent avoir pensé que l’entrée de la Turquie influerait sur la question kurde. Dans la région kurde, dans l’est du pays, il y eut des manifestations en faveur de l’entrée de la Turquie dans l’UE. En même temps que la gauche européenne s’organisait en groupes de campagne afin de rejeter l’Euro et la constitution, mobilisant d’énormes protestations devant les sommets de l’UE contre ce qui était perçu avant tout comme un projet néo-libéral, la gauche kurde voyait l’UE comme un libérateur potentiel.
Abdullah Demirbas est un maire rayonnant. Quelle que soit l’histoire qu’il raconte, il sourit. Il nous montre le rapport de l’activité municipale qu’il a aussi publié en kurde et en turc, encore une raison pour les charges criminelles à son encontre. Je trouve un CD dans les sac intitulé Linux et je lui demande ce que c’est. « Il s’agit du programme de traduction Linux pour le kurde ». Encore un crime. Il est peiné par l’attitude hypocrite du gouvernement turc, qui le poursuit tout en disant à l’UE qu’ils ont changé la loi. Mais avant tout il est heureux, car ses citoyens sont très heureux des livres pour enfants et du programme Linux.
Le Kurdistan est la région de l’est de la Turquie habitée par 10 à 12 millions de Kurdes. En 1984, le PKK et un front national de libération entama une lutte pour des droits kurdes, un état ou une région ayant un niveau élevé d’autonomie et de socialisme. La guérilla était à la fois de gauche (socialisme historique - NDT) et nationaliste. La lutte s’intensifia dans les années 90. Durant une grand partie des années 90, la guerre était constante. D’un côté, il y avait le front de libération, et de l’autre l’armée turque et des Kurdes enrôlés de force en tant qu’alliés. Comme au Vietnam l’armée turque créa un système de gardes de villages, donnant des armes à des Kurdes afin qu’ils se battent contre d’autres Kurdes. Pendant la guerre, l’état turc brûla 4000 villages et des milliers d’arbres et de champs. Les gens fuyèrent les villes.
En quelques années la population de Diyarbakir grossit de 300000 à presque un million aujourd’hui. Ni l’infrastructure ni les services n’avaient été pensés pour cet influx de personnes. La plupart des maires élus aujourd’hui étaient alors en prison. Lorsqu’ils sortirent enfin la plupart des municipalités kurdes étaient dirigées par des administrations kurdes musulmans fondamentalistes et corrompues. Le maire de Yenisehir, Firhat Anli, dût faire face à une mauvaise économie du temps de la corruption ainsi que des centaines de restrictions majeures et mineures imposées par le gouvernement turc à la gouvernance locale. Avant que la gauche fut élue aux municipalités, ma région kurde possédait de la terre ; immédiatement après les élections de 1999 l’état les réquisitionna. Ils ne peuvent pas planifier ni construire. « Nous payons même un loyer pour la maison dans laquelle je suis » dit avec désespoir le maire. Un plan de la ville fait inévitablement penser à Gaza ou Belfast ; Là où des services pourraient être rendus à la population, la terre est occupée par l’armée.
Dans le Diyarbakir d’après-guerre, le niveau d’analphabétisme est élevé, parmi les femmes il est même au-delà de 50 pourcent. Le manque d’infrastructures et de services complique la vie des gens. C’est pour cela que des festivals pour les enfants, des initiatives pour les femmes et des conférences pour les activistes politiques sont tant appréciés. Et la frontière entre ce que l’on peut faire et ce que l’on ne peut pas faire est floue. Les centres de femmes peuvent proposer de cours d’anglais, mais si ils proposent des cours en kurde ils leur faudrait fermer. A un festival Monsieur le maire Demirbas fabriqua une banderole où il y avait inscrit « chaque être humain a des droits.»
Elle flotta fièrement en deux langues ; en turc et en kurde. Voilà encore un crime.
Le maire dit qu’il n’a pas mené ces activités bilingues afin de provoquer la loi. Il est surpris, dit-il, par les dures réactions. La plupart des maires de gauche dans la région kurde font face à des poursuites judiciaires criminelles. Demirbas dû démissionner du poste de président du syndicat des enseignants à cause d’un livret en kurde.
La Turquie connaît une période de trouble politique. Les islamistes ont gagné les dernières élections en Turquie, mais l’armée continue à diriger le pays. Ils ne les ont pas acceptés comme vainqueurs. De nouvelles élections se tiendront le 22 juillet. Pour qu’un parti politique fasse son entrée au parlement il doit dépasser la barre des 10 pourcent, ce qui garantit que les voix minoritaires ne sont jamais entendus.
Les enfants de la municipalité de Sur sont loin de ces réalités là. Monsieur le maire Demirbas a crée un parlement pour enfants où ils débattent de ce qu’ils voudraient pour leur quartier. Les livres sont notamment appréciés. Les enfants ne pourraient jamais se permettre de lire des livres pour enfants aussi fréquemment qu’ils le font sans l’initiative municipale.
D’ici un mois, la cour aura rendu son verdict dans le cas Demirbas. Des pétitions de membres du parlement européen arrivent. Le commissaire de l’UE responsable des négociations en vue de l’entrée de la Turquie dans l’UE a déclaré que le jugement pourrait avoir des conséquences sur l’avenir de la Turquie dans l’UE. Cela affectera aussi le maire et ses livres pour enfants.
Traduction de l’anglais : JM
0 Comments:
Post a Comment
<< Home