Saturday, August 26, 2006

Union Sacrée

POLITIQUE • Cette union sacrée que Berlin nous envie

En politique étrangère, les Français se serrent les coudes alors que les Allemands multiplient les polémiques. Surtout lorsqu’il s’agit d’envoyer des soldats.

Sur la question libanaise, l’Allemagne et la France sont apparemment d’accord : les deux pays sont favorables à une force internationale de maintien de la paix ; et tous deux hésitent maintenant à envoyer leurs soldats. Cette réserve est toutefois inspirée par des motifs bien différents de chaque côté du Rhin. Et le débat prend un tour très différent en Allemagne et en France. Côté français, on applique dans ce cas précis la même règle d’or que pour toute autre question de politique étrangère : on se serre les coudes pour affermir la position de la France à l’extérieur. La campagne électorale pour l’élection présidentielle, qui a déjà démarré, ne touche donc pas au Liban.
Cette situation est très agréable pour le président Chirac, qui récolte dans tout le pays un soutien inconditionnel pour sa gestion de la crise du Proche-Orient. Il a même eu droit à des éloges sans réserve de la part de François Hollande, le chef du Parti socialiste et de l’opposition, pour son attitude “honorable”. A l’UMP, dans les propres rangs du parti du président, nul ne songerait à critiquer la politique libanaise du gouvernement, d’autant qu’elle rencontre, d’après les sondages, le soutien de la grande majorité de la population.
En France, “jouer les Stoiber” [du nom d’Edmund Stoiber, président de la CSU, le Parti social-chrétien de Bavière, opposé à un engagement armé de la Bundeswehr au Proche-Orient] n’offre aucun avantage. Aucun homme politique français n’oserait mettre des bâtons dans les roues au chef du gouvernement sur une importante question de politique étrangère, comme l’a fait le ministre-président bavarois ces dernières semaines vis-à-vis de la chancelière. Une telle attitude serait très mal perçue, ne serait-ce que parce qu’elle donnerait l’impression de dissensions internes et risquerait d’affaiblir l’image du pays à l’étranger.

La peur de renouer avec un sinistre passé

Allemands et Français ont décidément une conception fondamentalement différente du rôle que leur pays doit jouer sur la scène internationale. En Allemagne, il est toujours d’usage de considérer avec suspicion les missions de maintien de la paix de la Bundeswehr sur les autres continents. Les Allemands ne vont-ils pas se remettre à jouer les gendarmes du monde et à renouer avec un sinistre passé ? La Bundeswehr est-elle en mesure de remplir ces missions dangereuses malgré la faiblesse de son équipement ? Que valent ces interventions dans des régions lointaines, à part un coût élevé et le risque de perdre des soldats ?
Ces doutes largement répandus en Allemagne sont étrangers aux Français. Pour les citoyens de l’ancienne puissance coloniale, il va de soi que les forces armées doivent afficher leur présence sur l’ensemble du globe pour assurer l’influence internationale de la France. Contrairement aux Allemands, les Français ne voient pas de problème de principe à ce que 15 000 soldats soient engagés et puissent intervenir dans des conflits armés pour maintenir la paix. Une mission dans laquelle les soldats français risquent leur vie doit, il est vrai, présenter un intérêt stratégique pour la France. Le pays attend du président qu’il soupèse les risques militaires et le profit politique à tirer d’une telle intervention. Au Liban, selon l’analyse de Chirac, la France exposerait ses soldats à des risques disproportionnés en raison de l’extrême tension des relations entre Paris et Damas. Pour la Syrie, la France n’est pas un intermédiaire neutre entre Israël et le Hezbollah. Les soldats français risqueraient donc très vite de servir de cible au Hezbollah, allié à la Syrie. Les craintes présidentielles sont partagées par tous les experts en France.
Chirac n’a pas précisé s’il comptait envoyer davantage de soldats au Liban dès lors que la situation se serait améliorée. Par une présence militaire accrue, il pourrait remédier à la perte d’influence de la France au Liban, pays ami de longue date. Pour atteindre ce but, il peut compter sur un large consensus intérieur. La politique étrangère allemande en revanche n’a ni l’un ni l’autre : ni objectif ni consensus.

Ruth Berschens
Handelsblatt

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