Friday, September 15, 2006

Un point de vue Israélien

ISRAËL • Personne ne pourra dire qu’il ne savait pas
Comment des démocrates peuvent-ils accepter que tant d’injustices soient faites aux Palestiniens? ? Spécialiste des Territoires palestiniens, la journaliste israélienne Amira Hass s’interroge.
Laissons de côté ces Israéliens qui, par idéologie, soutiennent la dépossession du peuple palestinien parce que “Tu [Dieu] nous as choisis”. Laissons de côté ces juges qui couvrent la politique militaire de meurtre et de destruction. Laissons de côté ces officiers qui emprisonnent sciemment tout un peuple entre des murs, des tours de guet fortifiées, des mitrailleuses, des barbelés et des projecteurs aveuglants. Et laissons de côté nos ministres et tous ces gens qui comptent – les architectes, les planificateurs et, plus généralement, les concepteurs et les exécutants de la politique gouvernementale.
Parlons plutôt des autres. Des historiens et des mathématiciens, des éditeurs, des vedettes médiatiques, des psychologues et des médecins, des avocats qui ne soutiennent pas le Goush Emounim [l’extrême droite religieuse] ou Kadima [le parti au pouvoir], des enseignants et des éducateurs, des amoureux de la nature, des magiciens des hautes technologies. Où êtes-vous ? Et vous, les spécialistes du nazisme, de la Shoah et du goulag ? Etes-vous vraiment en faveur de ces lois discriminatoires qui décrètent que, pour les ravages provoqués par la dernière guerre, les Arabes de Galilée ne recevront pas les mêmes indemnisations que leurs voisins juifs ?
Se peut-il que vous souteniez ce code de la nationalité raciste qui interdit à un Israélien arabe de vivre avec sa famille dans son propre logis ? Se peut-il que vous souteniez les expropriations programmées en Cisjordanie pour créer un nouveau quartier d’implantation juive et une nouvelle route, le “yehudim bilvad” [pour Juifs seulement] ? Se peut-il que vous soyez d’accord pour qu’un tiers de la Cisjordanie soit désormais inaccessible aux Palestiniens ? Que vous acceptiez une politique qui empêche des dizaines de milliers de citoyens étrangers d’origine palestinienne de rendre visite à leur famille dans les Territoires ?
Pensez-vous réellement vous en sortir avec l’argument de la sécurité pour trouver normal d’interdire aux étudiants gazaouites d’étudier l’ergothérapie à Bethléem et la médecine à Ramallah, ou aux malades de Rafah de recevoir des soins à Ramallah ? Pensez-vous pouvoir vous réfugier derrière le “lo yadanou” [“nous ne savions pas”] lorsqu’on vous parlera de la discrimination pratiquée dans l’accès à l’eau [sous le contrôle exclusif d’Israël] et qui laisse des milliers d’immeubles palestiniens sans eau durant les canicules ? Ou du fait que Tsahal a pu impunément ceinturer les villages par des barrages empêchant les habitants d’aller s’approvisionner en eau ?

Un régime spoliateur et oppresseur insatiable

Il n’est pas possible que vous ne voyiez pas les lourds portiques d’acier qui jalonnent la Nationale 344, cette route qui traverse l’ouest de la Cisjordanie, mais sans accès aux villages palestiniens. Il n’est pas possible que vous souteniez l’interdiction faite à des milliers de fermiers d’accéder à leurs champs. Ou que vous souteniez la quarantaine imposée à Gaza et qui empêche la livraison de médicaments aux hôpitaux et la fourniture d’électricité et d’eau à 1,5 million d’êtres humains. Se peut-il que vous ne sachiez pas ce qui se passe à quinze minutes de vos cabinets et de vos universités ? Se peut-il que vous souteniez ce système qui voit des soldats hébreux dresser des barrages au cœur de la Cisjordanie et bloquer des dizaines de milliers de civils des heures durant sous un soleil de plomb et trier les habitants selon leur âge ou selon qu’ils viennent de Naplouse ou de Tulkarem ? Ou, pour l’exemple, placer en détention une femme malade qui a eu le tort de sortir de la file ? Le site (www.machsomwatch.org) [ONG israélienne chargée de surveiller les agissements des soldats israéliens aux postes de contrôle] est accessible à tous et regorge de témoignages et de documents qui rendent compte de ces horribles pratiques. Il n’est pas possible que ceux qui s’insurgent à la moindre croix gammée sur une tombe juive en France ou au moindre titre antisémite dans un journal local espagnol ne soient pas informés de ce qui se passe en Cisjordanie et ne s’insurgent pas.
Comme Juifs, nous jouissons tous du privilège que représente pour nous Israël et c’est pourquoi nous sommes tous, bon an mal an, des collaborateurs [du système]. La question est : que fait chacun d’entre nous pour minimiser sa collaboration avec un régime spoliateur et oppresseur insatiable ? Il ne suffit pas de signer des pétitions et de se plaindre. Israël est une démocratie pour ses Juifs. Nos vies ne sont pas en danger, nous ne risquons pas d’être placés en camp d’internement et nous pourrons toujours nous détendre à la campagne ou à l’étranger. C’est pourquoi le poids de notre collaboration et de notre responsabilité directe est terriblement lourd.
Amira Hass (Ha'aretz)

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