Saturday, September 23, 2006

Le Vatican

On n’a retenu du discours de Benoît XVI que son attaque contre l’islam. En fait, ses propos visaient tout autant les Occidentaux, explique le quotidien de Francfort.
Pendant six jours, le pape Benoît XVI a arpenté la Bavière, sa terre d’origine. Il a prié dans les églises et en plein air, prêché devant des milliers de personnes et donné une conférence. Les images joyeuses de Munich, Altötting et Ratisbonne resteront dans les mémoires. Mais, avec ses paroles, Benoît XVI a écrit l’Histoire. Car ce n’est pas le retour au pays qui était le thème de ce voyage, mais la défense de l’Occident chrétien – contre les autres et contre lui-même.
En avril 2005, des cardinaux venus du monde entier élisaient au trône de saint Pierre Joseph Ratzinger, un Allemand, un homme originaire d’un pays qui a initié la Réforme, les Lumières et la Seconde Guerre mondiale. L’histoire allemande a donné au nouveau pontife un regard pénétrant sur l’abîme de l’homme et les errements des peuples. Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi pendant de nombreuses années, il s’était montré attaché aux racines chrétiennes de l’Europe, s’était opposé à l’Eglise allemande sur les rapports qu’elle entretenait avec l’Etat et aux philosophes sur le pouvoir et le droit, et avait développé un profil théologique et politique qui en faisait le successeur naturel de Jean-Paul II.
Comme son prédécesseur, Benoît XVI ne s’est pas adressé uniquement aux catholiques. Ses discours ont évoqué les questions fondamentales de la vie, de la foi et de la raison. Les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament qu’il a commentés parce qu’ils correspondaient au temps liturgique traduisent selon lui l’espoir de chacun que son histoire personnelle, comme celle du monde, ait un sens et un but. Les philosophes, de Platon à Kant, auxquels il a fait référence dans sa conférence, sont pour lui la preuve que les hommes sont des êtres “de raison” et peuvent donc s’entendre en dépit des frontières de la culture et de la religion. Les critères du bien et du mal et l’idée que la dignité de l’homme consiste à vivre selon cette “nature raisonnable” ne sont pas propres au catholicisme, ni d’ailleurs à la morale personnelle du pontife. Benoît XVI défend simplement l’héritage européen des Lumières – qui est menacé par la division manichéenne du monde entre croyants et non-croyants, entre “pour nous” et “contre nous”. Ce n’est pas le paysage des Alpes bavaroises qui constitue la trame de ses interventions, mais les discours des puissants de ce monde, d’Ahmadinedjad à Bush.
Pour Benoît XVI, la vocation universelle de la pensée chrétienne imprégnée des Lumières n’est pas uniquement menacée de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur. Les propos de Kant, qui déclarait avoir dû mettre de côté la pensée pour faire une place à la foi, traduisent selon lui un dilemme. La raison “pure”, qui se définit et trouve sa liberté en excluant Dieu de son champ de réflexion, a tendance à ne se pencher que sur ce qu’on peut savoir objectivement. Elle risque ainsi de devenir un bon “instrument”, mais qui ne suffit pas pour bien vivre.
Le pape a trouvé ces derniers jours plusieurs expressions percutantes pour qualifier cette autolimitation de la raison. Il a parlé de “surdité vis-à-vis de Dieu” et de “raccourcissement du rayon de la raison”, et a ainsi précisé, tantôt avec des mots simples, tantôt avec des mots complexes, ce qu’il qualifie depuis des années de “dictature du relativisme”.
Les fondements de la civilisation sont en jeu si le désir de progrès scientifique et technique et de liberté individuelle touche également la sphère de ces valeurs dont l’homme ne doit pas disposer librement, que ce soit au début ou à la fin de la vie. Ce risque n’est toutefois qu’un des aspects de la dialectique des Lumières. Comme si ce voyage et l’anniversaire des attentats du 11 septembre n’étaient pas une coïncidence, Benoît XVI a évoqué une “pathologie” qui se manifeste depuis longtemps dans les rapports entre l’Occident moderne et le reste du monde. Pour le pape, le rejet croissant des valeurs occidentales en Asie et en Afrique n’est pas dû à un refus de la modernité. Le pape voit dans l’antioccidentalisme qui se répand sur l’ensemble du globe une réaction à une conception de la raison qui considère la religion et la foi comme irrationnelles et antérieures à l’esprit scientifique et qui ouvre ainsi grand la porte au cynisme.
Benoît XVI précise ainsi son diagnostic de la crise que connaît l’Occident. La faille qui apparaît entre les valeurs occidentales et la réalité politique n’est pas due à une double morale qui serait, depuis, retombée sur ses créateurs. Ce serait trop simple. Pour le pape, il existe dans ce qu’on appelle le monde chrétien, comme dans le monde de l’islam, des mouvements qui ne veulent rien savoir des critères raisonnables du bien et de la vraie vie, auxquels appartient également le respect du sacré.

Daniel Deckers, Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung

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