Etude de cas
Les enfants rapporteurs font des adultes conservateurs
Le petit copain de maternelle pleurnichard, timoré et rapporteur,
vous vous souvenez ? Eh bien, il y a de fortes chances qu’il
vote aujourd’hui à droite. C’est en tout cas ce qu’ont pu
observer les sociologues qui ont suivi pendant vingt ans
95 enfants de la région de Berkeley. La plupart
des enfants débrouillards, confiants et autonomes étudiés par
l’équipe ont quant à eux grossi les rangs de la gauche libérale
une fois devenus adultes. Avec cette étude, publiée dans
The Journal of Research into Personality, John Block,
professeur de sociologie à Berkeley, ne se fera pas beaucoup
d’amis chez les conservateurs. Elle mérite toutefois qu’on
s’y attarde. Dans les années 1960, le chercheur entreprend
de suivre plus d’une centaine d’élèves de maternelle dans
le cadre d’une étude globale sur la personnalité. Les instituteurs,
qui connaissent leurs élèves depuis des mois, sont chargés
d’évaluer leur personnalité. Rien ne permet de penser que ces
travaux soient biaisés : à l’époque, les chercheurs ne
s’intéressaient pas à la question de l’orientation politique,
et eût-ce été le cas qu’ils auraient été bien en peine de
définir les sympathies politiques de marmots de 3 ou 4 ans.
Quelques décennies plus tard, Block revient voir
comment la personnalité de ses sujets a évolué, en s’intéressant
cette fois-ci à leurs préférences politiques. Et il découvre
qu’une fois adultes les gnangnans d’hier sont généralement
devenus conservateurs, très attachés aux rôles traditionnels
de l’homme et de la femme, et aisément déstabilisés par les
situations équivoques. Les enfants bien dans leur peau d’hier
penchent quant à eux à gauche et sont des esprits ouverts,
curieux, brillants, épris de liberté et non conformistes.
Contrairement aux filles, qui n’ont rien perdu de leur sociabilité,
les garçons de ce groupe affichent toutefois une légère tendance
à l’introspection. L’enclave libérale de Berkeley n’est
pas nécessairement représentative de l’ensemble des
Etats-Unis, concède Block, qui insiste toutefois sur la cohérence
de ses résultats : un enfant mal dans sa peau, explique-t-il,
cherche à se raccrocher à l’autorité et à la tradition,
et c’est précisément ce qu’il trouve dans le conservatisme.
Le modèle progressiste attire davantage des individus
qui ont suffisamment d’assurance pour remettre en question
l’ordre établi et explorer d’autres voies.
“C’est un travail bâclé, tendancieux et qui n’a pas grand-chose
de scientifique”, assène quant à lui Jeff Greenberg, de
l’université d’Arizona. Selon ce spécialiste de psychologie sociale,
les personnalités peu assurées, sur la défensive et rigoristes
peuvent selon lui être aussi sensibles aux arguments de la gauche
qu’à ceux de la droite. En Chine, estime-t-il, des individus
de ce type feraient de fervents partisans du Parti communiste.
Kurt Kleiner
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