Friday, June 23, 2006

Stop! Consommation!

CONSOMMATIONDes légumes et des fleurs qui nous mettent à sec.

Exporter des produits agricoles rapporte des devises, mais, dans certains pays, cela aggrave la pénurie d’eau. Analyse d’un effet pervers méconnu.

Pour vous, ce n’est qu’une salade que vous déposez dans votre chariot du supermarché avec les autres courses de la semaine. Mais, pour les paysans kényans, privés d’eau par une agriculture intensive, elle peut évoquer la misère. Alors que la planète manque d’eau, les clients des supermarchés contribuent à leur insu à la sécheresse mondiale, selon des groupes écologistes. Ces consommateurs qui parcourent les allées des grandes surfaces à la recherche de tomates espagnoles, de pommes de terre égyptiennes ou de roses kényanes sont en train d’aggraver la pénurie de la plus précieuse de nos ressources.
Les légumes que le Kenya, par exemple, cultive pour l’exportation incluent la laitue, la roquette, les mélanges de jeunes pousses, les mange-tout, les pois et les brocolis. Mais la production d’une salade de 50 grammes nécessite près de 50 litres d’eau, alors que dans certaines régions cette ressource est extrêmement rare. Une salade composée faite de tomates, de céleri, de concombres et de laitue exige plus de 300 litres. A ces chiffres il faut encore ajouter l’eau requise pour le lavage, le traitement et l’emballage.
Le commerce international de légumes et de fleurs hors saison représente un emploi pour un certain nombre de gens et la fortune pour une minorité. Mais, pour les paysans qui se retrouvent sans eau à cause de grosses exploitations qui l’ont pompée en amont, il est source de difficultés considérables et d’une dégradation irrémédiable de l’environnement. “Nous sommes en train d’exporter la sécheresse. La culture de produits à forte valeur ajoutée est bénéfique pour l’économie de ces pays, mais ses effets sur la pauvreté sont inégaux. Durant la saison sèche, les paysans dont les terres sont situées en aval [du réseau d’irrigation] se retrouvent avec des lits de rivière à sec”, estime Bruce Lankford, maître de conférences en ressources naturelles à l’université d’East Anglia, à Norwich, en Grande-Bretagne.
Un documentaire intitulé A World Without Water [Un monde sans eau], diffusé récemment sur Channel 4, décrit les conséquences de la pénurie croissante d’eau et les batailles qu’il va falloir livrer pour y remédier. Il montre que l’eau est de plus en plus considérée comme un bien négociable et une source de profits, ce qui prive les plus pauvres d’un produit de première nécessité. Les salades vendues en Grande-Bretagne proviennent d’Afrique mais aussi du sud de l’Espagne, une région frappée elle aussi par la sécheresse et où, en 2005, la pluviométrie a été la plus faible jamais enregistrée. La production de tomates nécessite des usines de dessalement, qui consomment beaucoup d’énergie et contribuent à accroître la salinité des eaux du littoral. Les serres couvrent une superficie si vaste qu’on peut désormais les voir de l’espace.

L’agriculture utilise les 2/3 de l’eau douce de la planète

En Egypte, les légumes sont devenus des denrées d’exportation si précieuses que le gouvernement a menacé d’une action militaire tout pays qui construirait un barrage en amont sur le Nil ou ses affluents. La moitié des fleurs coupées vendues dans les supermarchés britanniques proviennent du Kenya, où le volume des exportations vers la Grande-Bretagne a augmenté de 85 % entre 2001 et 2005. Les roses et les œillets sont les spécialités de la région du lac Naivasha, mais, à terme, le lac ne pourra satisfaire l’intégralité de la demande en eau. David Harper, biologiste à l’université de Leicester, surveille le niveau du lac depuis dix-sept ans pour le compte de l’ONG Earthwatch. “Les besoins en eau sont si importants qu’on est en train de sacrifier le Naivasha, affirme-t-il. Presque tous les Européens qui ont mangé des haricots ou des fraises kényans ou contemplé des roses kényanes ont acheté de l’eau du Naivasha. On est en train d’assécher le lac. On va en faire un étang aux eaux stagnantes et nauséabondes, sur les rives duquel des populations misérables tenteront de survivre.”
Il y a quarante ans, Paul Ehrlich, biologiste à l’université Stanford, nous prédisait dans son livre La Bombe P [éd. Fayard, 1972] un avenir cauchemardesque où la croissance démographique était si forte qu’il allait devenir impossible de nourrir toute l’humanité. On a évité la catastrophe en investissant des sommes considérables dans l’amélioration de la productivité agricole et en construisant des réseaux d’irrigation.
Mais, ce faisant, on a créé une nouvelle menace. Selon Fred Pearce, journaliste spécialiste de l’environnement et auteur de Quand meurent les grands fleuves [éd. Calmann-Lévy, 2006], “le monde produit aujourd’hui deux fois plus de denrées alimentaires qu’il y a une génération, mais il consomme trois fois plus d’eau pour les cultiver. Les deux tiers de l’eau collectée dans la nature servent à l’irrigation. Cet usage intensif ne pourra pas durer éternellement, ce qui fait dire à beaucoup que l’apocalypse n’a pas été évitée, mais seulement retardée.”
Les ONG sont persuadées que, si les conflits passés portaient sur le pétrole, ceux de demain porteront sur l’eau. Ainsi, pour Jacob Tompkins, le directeur de Waterwise, une ONG qui milite pour la réduction de la consommation d’eau, des guerres froides de faible intensité sont déjà en cours. “Nous sommes en train d’exploiter une ressource qui ne peut pas être remplacée. Cela ne peut pas continuer. L’amélioration de la gestion de l’eau dépendra des décisions qui sont prises aujourd’hui. Si nous devions payer l’eau utilisée pour produire nos denrées alimentaires, nous réduirions notre consommation”, assure-t-il.
Selon lui, la première chose à faire pour les consommateurs est de privilégier les variétés de légumes “peu gourmandes” en eau. Ainsi, la pomme de terre Maris Piper consomme beaucoup d’eau, alors que la Desiree résiste à la sécheresse et n’a pas besoin d’irrigation. “La Desiree est aussi bonne au goût, mais les supermarchés en ont rarement en rayon sous prétexte que les clients ne l’aiment pas, explique-t-il. En réalité, ils ne nous donnent pas le choix. Les consommateurs doivent s’informer sur la quantité d’eau nécessaire pour cultiver les légumes, et faire pression sur les supermarchés pour qu’ils proposent les variétés qui en ont le moins besoin.”
Jeremy Laurance
The Independent





0 Comments:

Post a Comment

<< Home