Friday, June 23, 2006

Stop! Consommation!

CONSOMMATIONDes légumes et des fleurs qui nous mettent à sec.

Exporter des produits agricoles rapporte des devises, mais, dans certains pays, cela aggrave la pénurie d’eau. Analyse d’un effet pervers méconnu.

Pour vous, ce n’est qu’une salade que vous déposez dans votre chariot du supermarché avec les autres courses de la semaine. Mais, pour les paysans kényans, privés d’eau par une agriculture intensive, elle peut évoquer la misère. Alors que la planète manque d’eau, les clients des supermarchés contribuent à leur insu à la sécheresse mondiale, selon des groupes écologistes. Ces consommateurs qui parcourent les allées des grandes surfaces à la recherche de tomates espagnoles, de pommes de terre égyptiennes ou de roses kényanes sont en train d’aggraver la pénurie de la plus précieuse de nos ressources.
Les légumes que le Kenya, par exemple, cultive pour l’exportation incluent la laitue, la roquette, les mélanges de jeunes pousses, les mange-tout, les pois et les brocolis. Mais la production d’une salade de 50 grammes nécessite près de 50 litres d’eau, alors que dans certaines régions cette ressource est extrêmement rare. Une salade composée faite de tomates, de céleri, de concombres et de laitue exige plus de 300 litres. A ces chiffres il faut encore ajouter l’eau requise pour le lavage, le traitement et l’emballage.
Le commerce international de légumes et de fleurs hors saison représente un emploi pour un certain nombre de gens et la fortune pour une minorité. Mais, pour les paysans qui se retrouvent sans eau à cause de grosses exploitations qui l’ont pompée en amont, il est source de difficultés considérables et d’une dégradation irrémédiable de l’environnement. “Nous sommes en train d’exporter la sécheresse. La culture de produits à forte valeur ajoutée est bénéfique pour l’économie de ces pays, mais ses effets sur la pauvreté sont inégaux. Durant la saison sèche, les paysans dont les terres sont situées en aval [du réseau d’irrigation] se retrouvent avec des lits de rivière à sec”, estime Bruce Lankford, maître de conférences en ressources naturelles à l’université d’East Anglia, à Norwich, en Grande-Bretagne.
Un documentaire intitulé A World Without Water [Un monde sans eau], diffusé récemment sur Channel 4, décrit les conséquences de la pénurie croissante d’eau et les batailles qu’il va falloir livrer pour y remédier. Il montre que l’eau est de plus en plus considérée comme un bien négociable et une source de profits, ce qui prive les plus pauvres d’un produit de première nécessité. Les salades vendues en Grande-Bretagne proviennent d’Afrique mais aussi du sud de l’Espagne, une région frappée elle aussi par la sécheresse et où, en 2005, la pluviométrie a été la plus faible jamais enregistrée. La production de tomates nécessite des usines de dessalement, qui consomment beaucoup d’énergie et contribuent à accroître la salinité des eaux du littoral. Les serres couvrent une superficie si vaste qu’on peut désormais les voir de l’espace.

L’agriculture utilise les 2/3 de l’eau douce de la planète

En Egypte, les légumes sont devenus des denrées d’exportation si précieuses que le gouvernement a menacé d’une action militaire tout pays qui construirait un barrage en amont sur le Nil ou ses affluents. La moitié des fleurs coupées vendues dans les supermarchés britanniques proviennent du Kenya, où le volume des exportations vers la Grande-Bretagne a augmenté de 85 % entre 2001 et 2005. Les roses et les œillets sont les spécialités de la région du lac Naivasha, mais, à terme, le lac ne pourra satisfaire l’intégralité de la demande en eau. David Harper, biologiste à l’université de Leicester, surveille le niveau du lac depuis dix-sept ans pour le compte de l’ONG Earthwatch. “Les besoins en eau sont si importants qu’on est en train de sacrifier le Naivasha, affirme-t-il. Presque tous les Européens qui ont mangé des haricots ou des fraises kényans ou contemplé des roses kényanes ont acheté de l’eau du Naivasha. On est en train d’assécher le lac. On va en faire un étang aux eaux stagnantes et nauséabondes, sur les rives duquel des populations misérables tenteront de survivre.”
Il y a quarante ans, Paul Ehrlich, biologiste à l’université Stanford, nous prédisait dans son livre La Bombe P [éd. Fayard, 1972] un avenir cauchemardesque où la croissance démographique était si forte qu’il allait devenir impossible de nourrir toute l’humanité. On a évité la catastrophe en investissant des sommes considérables dans l’amélioration de la productivité agricole et en construisant des réseaux d’irrigation.
Mais, ce faisant, on a créé une nouvelle menace. Selon Fred Pearce, journaliste spécialiste de l’environnement et auteur de Quand meurent les grands fleuves [éd. Calmann-Lévy, 2006], “le monde produit aujourd’hui deux fois plus de denrées alimentaires qu’il y a une génération, mais il consomme trois fois plus d’eau pour les cultiver. Les deux tiers de l’eau collectée dans la nature servent à l’irrigation. Cet usage intensif ne pourra pas durer éternellement, ce qui fait dire à beaucoup que l’apocalypse n’a pas été évitée, mais seulement retardée.”
Les ONG sont persuadées que, si les conflits passés portaient sur le pétrole, ceux de demain porteront sur l’eau. Ainsi, pour Jacob Tompkins, le directeur de Waterwise, une ONG qui milite pour la réduction de la consommation d’eau, des guerres froides de faible intensité sont déjà en cours. “Nous sommes en train d’exploiter une ressource qui ne peut pas être remplacée. Cela ne peut pas continuer. L’amélioration de la gestion de l’eau dépendra des décisions qui sont prises aujourd’hui. Si nous devions payer l’eau utilisée pour produire nos denrées alimentaires, nous réduirions notre consommation”, assure-t-il.
Selon lui, la première chose à faire pour les consommateurs est de privilégier les variétés de légumes “peu gourmandes” en eau. Ainsi, la pomme de terre Maris Piper consomme beaucoup d’eau, alors que la Desiree résiste à la sécheresse et n’a pas besoin d’irrigation. “La Desiree est aussi bonne au goût, mais les supermarchés en ont rarement en rayon sous prétexte que les clients ne l’aiment pas, explique-t-il. En réalité, ils ne nous donnent pas le choix. Les consommateurs doivent s’informer sur la quantité d’eau nécessaire pour cultiver les légumes, et faire pression sur les supermarchés pour qu’ils proposent les variétés qui en ont le moins besoin.”
Jeremy Laurance
The Independent





Tuesday, June 13, 2006

Us et abus du multiculturalisme

Le multiculturalisme est une exigence majeure du monde contemporain. On l’invoque volontiers lorsqu’on met en place des mesures sociales, culturelles et politiques, notamment en Europe occidentale et en Amérique. Cela n’a rien de surprenant puisque, du fait de l’accroissement des échanges et des contacts à l’échelle planétaire et en particulier des flux migratoires intensifs, les diverses pratiques des différentes cultures se côtoient désormais. Le commandement “Tu aimeras ton prochain” a sans doute commencé à être accepté de tous à une époque où “les prochains” – ou les voisins – menaient plus ou moins le même mode de vie (“Nous reprendrons cette conversation dimanche prochain, pendant la pause de l’organiste”) ; aujourd’hui, en revanche, cette exhortation impose aux individus de s’intéresser aux us et coutumes très différents des gens qui vivent à leurs côtés. Ce n’est pas là chose facile, comme en témoigne le trouble qu’ont semé les caricatures du prophète Mahomet et la furie qu’elles ont déchaînée. Pourtant, étant donné le caractère mondialisé du monde contemporain, nous ne pouvons pas nous offrir le luxe d’ignorer les problèmes épineux que soulève le multiculturalisme.
L’une des questions capitales porte sur la façon dont les êtres humains sont perçus. Faut-il les classer en fonction de traditions dont ils ont hérité – à commencer par la religion, qui vient de la communauté dans laquelle ils sont nés – et donner automatiquement à cette identité qu’ils n’ont pas choisie la prééminence par rapport à d’autres affiliations qui peuvent avoir trait, entre autres liens sociaux, à la politique, à la profession, à l’appartenance de classe ou de genre, à la langue, à la littérature ou aux engagements sociaux ? Ou bien faut-il les considérer comme des individus entretenant de nombreuses affiliations et auxquels il revient d’établir eux-mêmes leur ordre de priorités (en assumant la responsabilité inhérente à ce choix raisonné) ? De même, sur quels critères devons-nous évaluer le bien-fondé du multiculturalisme ? Devons-nous simplement “laisser tranquilles” les gens issus de milieux culturels différents ou bien soutenir activement leur capacité à effectuer des choix raisonnés, en leur offrant des opportunités sociales d’éducation et de participation à la société civile ? Pour apprécier le multiculturalisme à sa juste valeur, nous ne pouvons faire l’économie de ces questions fondamentales.
Dans le débat sur la théorie et la pratique du multiculturalisme, l’expérience britannique fournit un éclairage particulièrement intéressant. Le Royaume-Uni a en effet été le fer de lance de la défense d’un multiculturalisme intégrateur, dont les réussites et les difficultés peuvent être utiles à d’autres pays d’Europe et aux Etats-Unis. Il a connu en 1981 des émeutes raciales, à Londres et à Liverpool, qui, sans avoir atteint l’ampleur de celles qui ont embrasé la France à l’automne 2005, ont débouché sur un regain d’initiatives en faveur de l’intégration. Depuis un quart de siècle, la situation est relativement stable et raisonnablement calme. Au Royaume-Uni, le processus d’intégration a été largement favorisé par le fait que tous les résidants originaires des pays du Commonwealth (d’où viennent la plupart des immigrés non blancs) ont automatiquement le droit de vote, et ce sans même avoir la citoyenneté britannique. L’intégration a également été appuyée par l’accès non discriminatoire des immigrés aux soins, à l’éducation et aux programmes de protection sociale. Ce qui n’a pourtant pas empêché le Royaume-Uni de subir l’hostilité d’un groupe d’immigrés et de voir apparaître sur son sol un terrorisme purement local, lors des attentats kamikazes extrêmement meurtriers de juillet 2005, commis par une poignée de jeunes musulmans issus de familles immigrées – nés, élevés et éduqués en Grande-Bretagne.
Les débats sur les initiatives multiculturalistes britanniques ont donc une portée plus vaste que ne pourraient le laisser penser les limites du sujet. Six semaines après les attentats de juillet 2005, quand Le Monde a publié un article critique intitulé “Le modèle multiculturel britannique en crise”, James A. Goldstone, directeur de la très libérale association Open Society – Justice Initiative in America, a repris la balle au bond, qualifiant l’article du Monde de “catastrophiste”. “N’exploitez pas la menace très réelle du terrorisme pour justifier que l’on oublie plus d’un quart de siècle d’apports britanniques en matière de relations raciales”, répondit-il.

Selon moi, la véritable question n’est pas de savoir si “le multiculturalisme est allé trop loin” (pour reprendre la façon dont Goldstone résume un axe de la critique), mais quelle forme particulière le multiculturalisme devrait adopter. N’est-il rien d’autre que la tolérance à l’égard de la diversité des cultures ? Qui choisit les pratiques culturelles ? Sont-elles imposées à de jeunes enfants au nom de la “culture communautaire” ou bien sont-elles librement choisies par des individus qui ont les moyens d’être informés des alternatives et d’y réfléchir ? De quels moyens disposent les membres de différentes communautés, à l’école comme dans la société au sens large, pour être informés des convictions religieuses ou laïques de gens issus de différentes régions du monde, et pour être à même de réfléchir aux choix que les êtres humains doivent effectuer, fût-ce implicitement ?
Un point crucial tient à la distinction entre le multiculturalisme et ce que l’on peut appeler le “monoculturalisme pluriel”. L’existence d’une diversité des cultures, qui peuvent se croiser comme des navires dans la nuit, constitue-t-elle un exemple réussi de multiculturalisme ? Dans la mesure où, en matière d’identité, la Grande-Bretagne est actuellement déchirée entre échanges et isolement, cette distinction revêt une importance vitale (et est étroitement liée au problème du terrorisme et de la violence).

Pour prendre un paradoxe culinaire, rappelons que la cuisine indienne et la cuisine britannique peuvent toutes deux légitimement se réclamer du multiculturalisme : l’Inde ne connaissait pas le piment fort avant que les Portugais ne l’importent d’Amérique ; aujourd’hui, cette épice entre dans la préparation d’un large éventail de plats indiens et est l’ingrédient principal de la plupart des currys. Il entre en quantité généreuse dans la composition du très piquant vindaloo, dont le nom même évoque le souvenir des immigrés qui mélangeaient le vin aux pommes de terre. Les tandooris ont certes été perfectionnés en Inde, mais ils n’en sont pas moins originaires d’Asie occidentale. Quant à la poudre de curry, c’est une invention purement anglaise, inconnue en Inde avant lord Clive et concoctée, j’imagine, dans les mess de l’armée britannique. Les grands restaurants indiens de Londres proposent par ailleurs depuis peu des variantes inédites de la cuisine du sous-continent.
En revanche, lorsque deux styles ou traditions se côtoient sans jamais se rejoindre, nous sommes en présence de monoculturalisme pluriel. Et, précisément, les voix qui s’élèvent si fréquemment de nos jours pour défendre le multiculturalisme ne font bien souvent rien d’autre que revendiquer un monoculturalisme pluriel. Si une jeune fille issue d’une famille immigrée conservatrice veut sortir avec un garçon anglais, il s’agit indubitablement d’une initiative multiculturelle. Si, en revanche, ses tuteurs tentent de l’en empêcher (ce qui arrive assez souvent), nous sortons du multiculturalisme puisque le but est de maintenir les cultures séparées. Or c’est bien pour soutenir l’interdit des parents, qui participe du monoculturalisme pluriel, que les “multiculturalistes” se font entendre avec force, au prétexte qu’il est essentiel de respecter les cultures traditionnelles – comme si la liberté culturelle de la jeune femme n’avait aucune espèce d’importance et comme si les différentes cultures devaient être cantonnées dans des compartiments étanches.
Deuxième question : si la religion ou l’appartenance ethnique peuvent constituer des facteurs identitaires clés pour les individus (surtout s’ils peuvent choisir librement de suivre ou de rejeter des traditions héritées ou attribuées), ces individus ont tout autant de raisons de valoriser d’autres liens ou affinités. Sauf à s’en tenir à une définition pour le moins étrange du concept, le multiculturalisme ne peut pas l’emporter sur le droit d’un individu à participer à la société civile ou à la politique nationale, ou bien à mener une vie sociale non conformiste. Quelle que soit l’importance que revêt le multiculturalisme, il ne peut en aucune façon mener à systématiquement privilégier les diktats des cultures traditionnelles par rapport à tout le reste.

Les habitants de la planète ne peuvent pas être perçus exclusivement à travers le prisme de leur appartenance religieuse – comme une fédération mondiale de religions. Pour des raisons similaires, une Grande-Bretagne multiethnique ne peut pas être vue comme un assortiment de communautés ethniques. Etrangement, cette conception “fédérative” a rallié de nombreux suffrages. Et, malgré les implications tyranniques qu’il y a à enfermer des individus dans les compartiments rigides de “communautés” données, cette conception est souvent interprétée comme une défense de la liberté individuelle. Certains voient même l’avenir de la Grande-Bretagne multiethnique comme une “fédération plus ou moins lâche de cultures”, dont la cohésion serait assurée par un ensemble communs d’intérêts et d’affinités et par un sentiment d’appartenir à une collectivité.

Reste à savoir si la culture ou la famille d’origine d’un individu doivent dicter sa relation au Royaume-Uni. L’individu peut décider de lui-même de se chercher des affinités avec plusieurs de ces cultures prédéfinies ou, ce qui serait tout aussi plausible, avec aucune. Il peut également décider que son identité ethnique ou culturelle est moins significative pour lui que, par exemple, ses convictions politiques, ses engagements professionnels ou ses goûts littéraires. C’est un choix qui lui incombe.
Le multiculturalisme, s’il était seulement compris comme une injonction à définir l’identité d’un individu en fonction de sa communauté ou de sa religion, au mépris de toutes ses autres affiliations possibles et en privilégiant automatiquement cette religion ou tradition héritée, par rapport à la réflexion et au choix personnels, pourrait poser de graves problèmes dans ses prétentions morales et sociales. Cette approche du multiculturalisme est pourtant devenue un critère de premier ordre dans un certain nombre d’initiatives prises ces dernières années par les autorités britanniques.
La politique publique consistant à promouvoir activement de nouvelles “écoles confessionnelles” récemment mises en place pour les enfants musulmans, hindous et sikhs (en plus des écoles chrétiennes, qui existaient déjà) illustre cette approche. Cette politique pose problème au plan pédagogique et encourage une perception fragmentaire de ce qu’implique le fait de vivre dans une Grande-Bretagne “déségrégationnée”. Or l’éducation ne se limite pas à plonger les enfants, même les très jeunes, en immersion totale dans un vieil ethos hérité ; elle vise également à les aider à développer leur capacité de réflexion face à des décisions inédites que, devenus adultes, ils devront nécessairement prendre.
Si l’un des aspects problématiques des écoles confessionnelles tient au principe très discutable de privilégier une foi irrationnelle par rapport au raisonnement, un autre aspect capital concerne la classification des individus en fonction de la religion plutôt que d’autres critères. Les priorités et les actes d’un individu ne sont pas simplement influencés par la religion, mais aussi par toutes ses affinités et ses liens. La scission du Bangladesh et du Pakistan a été motivée par des questions de langue et de littérature, ainsi que par des priorités politiques, mais en aucune manière par la religion, qui était commune aux deux parties du Pakistan divisé. Ignorer tout en dehors de la foi revient à faire litière de la réalité des préoccupations qui ont engagé les individus à affirmer des identités dépassant largement la religion.

La communauté bangladaise, particulièrement importante au Royaume-Uni, est assimilée à une énorme masse composée de coreligionnaires, sans que l’on tienne le moins du monde compte de sa culture et de ses priorités. Voilà qui n’est certes pas pour déplaire aux imams musulmans et aux chefs religieux, mais qui ne saurait rendre justice à l’extraordinaire culture de ce pays et qui réduit tragiquement la grande diversité d’identités des Bangladais. Cela revient également à choisir d’ignorer purement et simplement l’histoire de la formation du Bangladesh lui-même. Or il se trouve qu’à l’intérieur du pays il y a actuellement de fortes dissensions politiques entre les laïcs et leurs détracteurs (parmi lesquels les extrémistes religieux), et l’on comprend mal pourquoi la politique officielle britannique serait plus en phase avec les seconds qu’avec les premiers.
La question ne se borne ni à la scolarisation ni aux musulmans. La tendance à faire des chefs religieux hindous ou sikhs les porte-parole de la population britannique hindoue ou sikhe procède de la même logique. Au lieu d’encourager les citoyens britanniques d’origines diverses à entretenir des contacts entre eux au sein de la société civile et à participer à la politique en tant que citoyens, on les invite à agir “par l’intermédiaire” de leur “propre communauté”. Le gouvernement britannique cherche à empêcher les dirigeants religieux d’inciter à la haine dans leurs prêches, ce qui est légitime, mais le problème va plus loin : il s’agit de savoir si les citoyens d’origine immigrée doivent se considérer en premier lieu comme des membres de communautés particulières et d’ethnicités religieuses particulières, et ne se sentir britanniques qu’à travers cette appartenance, dans une supposée fédération de communautés. On conçoit aisément que cette vision fractionnée rendrait n’importe quel pays plus vulnérable à une culture de la violence sectaire et aux incitations.
Il est donc urgent d’éviter (si notre analyse est juste) la confusion entre, d’un côté, un multiculturalisme allant de pair avec la liberté culturelle et, d’un autre côté, le monoculturalisme pluriel, qui va de pair avec un séparatisme fondé sur des convictions religieuses. Une nation ne peut être envisagée comme un ensemble de segments étanches.

Amartya Sen
The New Republic

IDENTITÉ ET DIFFÉRENCES

Droits et devoirs de l’immigré
Comment concilier flux migratoires et harmonie sociale ? Pour le sociologue américain Amitai Etzioni, les Etats ont le droit de sélectionner leurs immigrés, et les nouveaux arrivants doivent accepter les grandes valeurs des sociétés où ils s’insèrent.
Pour penser l’immigration sous un angle nouveau, il faut admettre qu’aucun individu n’a le “droit” d’aller vivre dans le pays d’un autre, pas plus qu’on n’a le droit de s’installer dans la maison d’un autre. Ni la Déclaration universelle des droits de l’homme, ni le droit international ne reconnaissent ce genre de revendications. Entrer dans un pays est un “privilège” dont on peut bénéficier, mais ne constitue en rien un droit que pourraient légitimement revendiquer tous les étrangers.
Les individus s’épanouissent lorsqu’ils appartiennent à une communauté. Pour favoriser le développement d’une communauté, il faut susciter l’adhésion à un ensemble limité mais significatif de valeurs communes (ou à une culture morale), cultiver un sentiment d’histoire commune et d’avenir commun. Il se pourrait qu’apparaissent un jour des communautés régionales comme l’Union européenne, voire une communauté mondiale. Mais, pour l’heure, en matière d’immigration, la notion de communauté coïncide généralement avec celle du pays. Quiconque aspire à rejoindre un pays pour trouver une vie meilleure doit être prêt à adhérer aux liens et à la culture morale de cette communauté nationale. Cette exigence n’impose en rien aux immigrés de s’assimiler au point de perdre leur spécificité, ni ne les empêche d’œuvrer pour faire évoluer leur nouvelle patrie. Mais ils doivent s’employer à devenir des membres à part entière de leur pays d’adoption, faute de quoi leur désir d’appartenance peut être légitimement rejeté.
Les véritables demandeurs d’asile sont l’exception. Ils ont bel et bien droit à un refuge, mais pas à un refuge particulier, dans un pays particulier. Les véritables demandeurs d’asile doivent être protégés – quelque part. Il est donc légitime de leur donner asile dans des pays en développement, à condition qu’ils y soient en sécurité et que ces pays soient disposés à les accueillir. Cette politique présenterait un avantage complémentaire car elle découragerait largement les faux demandeurs d’asile et empêcherait les candidats dont la demande n’a pas encore été approuvée de prendre pied dans une communauté dans laquelle beaucoup finiront par se voir refuser le droit de résidence. Par ailleurs, elle optimiserait considérablement le processus qui permet d’accorder l’asile à ceux qui en ont réellement besoin, puisque la forte baisse du nombre de faux candidats accélérerait sensiblement le temps d’étude des dossiers. Elle limiterait enfin l’hostilité et la suspicion qui pèsent sur les demandeurs d’asile, à l’heure où la plupart des candidats invoquent divers prétextes, compromettant la réputation de ceux qui ont réellement besoin d’être protégés au plus vite.
On pourrait opposer à cela que les faux demandeurs d’asile ne sont jamais que de pauvres gens qui aspirent à une vie meilleure et que, dans des conditions semblables, beaucoup d’entre nous auraient également recours à des mensonges et à de faux papiers. Il ne faudrait donc pas les expulser. Il convient de distinguer entre ce que l’on peut appeler une immigration humanitaire, dont l’objectif premier est d’aider les individus concernés, et l’immigration économique, qui vise en premier lieu à aider l’économie du pays concerné.
Si nous autorisons un grand nombre de faux demandeurs d’asile à rester dans un pays au nom de la compassion, nous finissons par accueillir des gens qui n’en ont pas le plus besoin et qui passent devant ceux qui ont un besoin urgent de protection. L’immigration humanitaire dans un pays devrait être proportionnelle à son capital de compassion, mais, au bout du compte, le nombre de candidats sera toujours largement supérieur à la capacité d’accueil. D’où la nécessité de fixer des critères d’immigration sélective… et de s’y tenir.

Entrer dans le pays d’un autre est un “privilège”

Ce n’est pas faire preuve de compassion que de déraciner de son pays un individu pas ou peu préparé à un environnement de travail moderne, à la vie urbaine et au système démocratique, et de le transplanter dans l’une de nos villes, en partant naïvement du principe qu’il s’acculturera et sera désormais heureux. En fait, ce raisonnement lèse les deux parties. Pour résumer, plus un pays est compatissant, plus il devrait consacrer de ressources pour venir en aide à ceux qui en ont le plus besoin, souvent dans leur pays d’origine, et plus il devrait veiller à n’accueillir que ceux qui ont réellement le plus besoin de protection.
L’immigration économique est tout autre chose. Dans la mesure où les immigrés économiques doivent être sélectionnés en fonction de qualifications telles que leur capacité à trouver un travail et à le garder, leur jeunesse ou leur bon niveau de préparation (évalué, par exemple, à travers des tests de langue), ils ont bien plus de chances de s’intégrer à l’économie et à la société de leur nouveau pays.

Faire venir des immigrés pour des raisons humanitaires et penser qu’ils se comporteront comme des immigrés économiques est généralement voué à l’échec.

Quand un enfant naît dans une famille établie depuis des siècles dans la même communauté nationale, celle-ci lui impose toute une série d’exigences. Il est acquis que cet enfant apprendra la ou les langue(s) nationale(s) et qu’il sera scolarisé dans un établissement qui le familiarisera avec la culture morale, l’histoire et l’avenir de la société. Dès son plus jeune âge, l’enfant apprendra avant tout à vivre dans le respect des principes fondamentaux de l’observance de la loi, de l’autorité, de la non-violence et de la tolérance mutuelle.
Il n’y a aucune raison pour qu’une communauté nationale attende moins de ses immigrés qu’elle n’attend des enfants nés sur son sol. Et, tout comme nous avons des examens scolaires, des “tests de citoyenneté” devraient être instaurés pour déterminer si un individu maîtrise la langue nationale, la culture morale et, surtout, s’il adhère aux principes essentiels de respect de la loi et de tolérance mutuelle. Plusieurs échecs d’affilée devraient motiver un refus de citoyenneté et de résidence. La citoyenneté et la résidence devraient également être refusées aux immigrés qui ont été condamnés, notamment pour des délits violents, incitation à la haine ou maltraitance à l’égard de leurs conjoint ou enfants.
Ici encore, on pourrait nous opposer que nombre d’immigrés sont issus d’un milieu défavorisé et qu’il est injuste de leur imposer ces exigences. Or ce n’est pas leur rendre service que de ne pas les encourager à apprendre la langue de la société à laquelle ils veulent se joindre, à respecter ses lois et à adhérer à ses valeurs fondamentales. Si les immigrés ne sont pas disposés à entreprendre ces initiatives d’intégration relativement limitées, ils en paieront les conséquences économiques, politiques et sociales – et la société d’accueil également.
Un certain nombre de conditions doivent être remplies pour que les tests de citoyenneté remplissent cet objectif :
1) La citoyenneté ne peut être fondée sur un principe héréditaire, comme cela s’est fait en Allemagne jusqu’en l’an 2000, car alors aucune préparation ne suffira et l’on perdra l’un des principaux facteurs motivant un comportement favorable à l’intégration sociale.
2) Pour la même raison, il ne faut pas placer la barre des tests si haut que seuls quelques candidats auront une chance de réussir. Le niveau des tests de citoyenneté américain et britannique est beaucoup trop bas, et ces tests se concentrent sur l’évaluation des connaissances et non sur les dispositions comportementales. En revanche, plusieurs cantons suisses ont mis en place des critères informels si élevés que certains immigrés de la troisième génération, parfaitement intégrés, n’ont jamais pu décrocher leur citoyenneté.
3) Le recours aux tests vise à s’assurer que les individus sont disposés à respecter la loi et à faire preuve de tolérance à l’égard des membres de leur pays d’accueil. L’existence d’un casier judiciaire devait constituer un critère important, sans pour autant être l’unique considération.
D’aucuns peuvent objecter que des tests de citoyenneté élimineraient un trop grand nombre de candidats, à l’heure où les pays ont besoin d’immigrés. Soit, mais rien n’oblige un pays qui a besoin d’immigrés à accueillir des immigrés issus d’une culture susceptible de rendre la socialisation particulièrement difficile. L’Espagne, par exemple, privilégie des immigrés venus de pays hispanophones.

Quitte à me répéter parce que c’est le point fondamental de la position que je défends ici, si les immigrés adhèrent à ce que l’on pourrait appeler les fondements sociétaux, ils sont non seulement libres d’avoir des opinions différentes sur d’autres questions, mais ils y sont même encouragés. Ce qui appartient au cadre commun et ce qui relève du domaine de la diversité est ouvert au débat et susceptible d’évoluer. Il n’en est pas moins évident que les immigrés doivent accepter les valeurs fondamentales de la société, qu’ils doivent se plier à la loi, apprendre la ou les langue(s) du pays et partager aussi bien les bienfaits que les boulets que l’Histoire a légués à ce pays.
De même qu’un individu qui entre dans une famille – par mariage ou adoption, par exemple – ne peut revendiquer sa part des avantages et refuser les contraintes ou inconvénients, un individu qui entre dans une nouvelle société doit aussi bien assumer les fardeaux de l’Histoire que les promesses de l’avenir. En ma qualité d’immigré aux Etats-Unis, je ne peux ainsi pas prétendre n’avoir aucun lien avec l’esclavage, ni avoir à me soucier de rétablir des injustices passées et en même temps revendiquer les droits instaurés par les Pères fondateurs. De la même manière, un Allemand ne peut pas s’enorgueillir des œuvres culturelles de personnalités marquantes telles que Kant, Goethe et Bach et ne vouloir assumer aucune responsabilité pour l’Holocauste.
Parallèlement, chaque groupe de la société est libre de maintenir ses coutumes et institutions qui ne sont pas incompatibles avec le noyau dur commun et de garder une forte dose de loyauté à l’égard de son pays d’origine, à condition que celle-ci ne supplante pas celle qu’il voue à sa société d’accueil. Le domaine culinaire symbolise très bien ce que je cherche à démontrer : nous continuons de reconnaître des cuisines nationales, mais les effets de l’immigration, de la mondialisation et de la démocratisation des voyages ont fait que l’on propose et consomme dans la plupart des grandes villes un vaste éventail d’autres cuisines. La même chose vaut pour bien d’autres domaines, la musique, la danse et la mode vestimentaire, mais aussi notre deuxième ou troisième langue, nos connaissances particulières et l’intérêt que l’on porte à son pays d’origine. Plus les nouveaux citoyens apportent de connaissances particulières et d’échanges avec des régions du monde que les citoyens de souche connaissent peu, plus cela est bénéfique à tous.
Le principe de diversité dans l’unité (DDU) ne préconise pas que les identités du pays d’accueil gomment les identités des immigrés ou toute loyauté envers leur pays d’origine. Mais il appelle à une sérialisation des identités et allégeances, où la communauté d’ensemble (le pays ou l’Union européenne) fournirait les identités et allégeances globalisantes, au sein desquelles les divers groupes (les Turco-Allemands, par exemple) pourraient préserver leurs sous-identités. L’épreuve de vérité est le conflit des allégeances. Les Américains du Panamá se battraient-ils aux côtés des Etats-Unis si ceux-ci envahissaient le Panamá, ou bien réclameraient-ils le droit de rester en retrait face à ce type de conflit ? Sur des thèmes de politique nationale, les Turco-Allemands s’aligneraient-ils sur Ankara ou sur Berlin ?

L’éducation revêt une importance majeure au regard des rapports qu’entretiendront les immigrés (et leurs enfants) avec leur pays d’adoption. Le modèle assimilationniste part du principe que les immigrés et les membres des minorités seront scolarisés dans les écoles publiques et apprendront la même chose que les autres membres de la société. Le modèle de diversité illimitée prône la création d’écoles séparées et des programmes différents pour chaque groupe ethnique, comme des écoles juives ou musulmanes.
Une approche DDU, fondée sur le concept d’écoles de proximité, propose, dans l’idéal : que tous les enfants fréquentent les mêmes écoles publiques ; que tous les enfants suivent les mêmes cours pendant 85 % du temps scolaire, de sorte que tous les membres de la prochaine génération aient assimilé un enseignement globalement identique, en termes de disciplines, d’orientation narrative et de contenus normatifs ; que les minorités puissent contribuer de manière significative à 15 % des programmes, sous forme de classes optionnelles ou alternatives, dans lesquelles les élèves intéressés par une discipline, une histoire ou une tradition puissent bénéficier d’une éducation plus poussée ; et enfin, que le contenu universel, à caractère unitaire, du programme soit reformulé pour intégrer, par exemple, davantage de cours sur la culture et l’histoire des minorités.
Il reste bien d’autres questions à résoudre dans le contexte de l’approche DDU et beaucoup à apprendre de son application. Le principe de DDU reconnaît le sentiment de l’écrasante majorité des citoyens d’Europe et de nombreux autres pays, du Japon au Pérou, à savoir le sentiment que l’immigration pose un défi à l’unité nationale et à la culture morale dominante. Dans le même temps, le principe de DDU met le doigt sur le fait que l’on peut aussi autoriser, voir encourager les immigrés à préserver des caractéristiques distinctes, à condition qu’ils adhèrent aux valeurs fondamentales.
Si les immigrés adhèrent aux valeurs, lois et institutions de base de leur pays d’accueil, ils devraient avoir le droit d’exprimer leurs divergences sur d’autres thèmes et même y être encouragés. Certains attendent des immigrés qu’ils s’assimilent au point de ne plus se distinguer des citoyens d’origine (c’est, par exemple, souvent le cas en France). Un tel degré d’assimilation, superflu pour la paix sociale et la qualité de la communauté, est souvent difficile à atteindre. Il passe à côté des effets enrichissants de la diversité. A l’opposé, certains appellent à un multiculturalisme sans limites, selon lequel les immigrés sont libres de garder leur culture et de résister à la socialisation dans la culture nationale dominante.


Quitte à me répéter parce que c’est le point fondamental de la position que je défends ici, si les immigrés adhèrent à ce que l’on pourrait appeler les fondements sociétaux, ils sont non seulement libres d’avoir des opinions différentes sur d’autres questions, mais ils y sont même encouragés. Ce qui appartient au cadre commun et ce qui relève du domaine de la diversité est ouvert au débat et susceptible d’évoluer. Il n’en est pas moins évident que les immigrés doivent accepter les valeurs fondamentales de la société, qu’ils doivent se plier à la loi, apprendre la ou les langue(s) du pays et partager aussi bien les bienfaits que les boulets que l’Histoire a légués à ce pays.
De même qu’un individu qui entre dans une famille – par mariage ou adoption, par exemple – ne peut revendiquer sa part des avantages et refuser les contraintes ou inconvénients, un individu qui entre dans une nouvelle société doit aussi bien assumer les fardeaux de l’Histoire que les promesses de l’avenir. En ma qualité d’immigré aux Etats-Unis, je ne peux ainsi pas prétendre n’avoir aucun lien avec l’esclavage, ni avoir à me soucier de rétablir des injustices passées et en même temps revendiquer les droits instaurés par les Pères fondateurs. De la même manière, un Allemand ne peut pas s’enorgueillir des œuvres culturelles de personnalités marquantes telles que Kant, Goethe et Bach et ne vouloir assumer aucune responsabilité pour l’Holocauste.
Parallèlement, chaque groupe de la société est libre de maintenir ses coutumes et institutions qui ne sont pas incompatibles avec le noyau dur commun et de garder une forte dose de loyauté à l’égard de son pays d’origine, à condition que celle-ci ne supplante pas celle qu’il voue à sa société d’accueil. Le domaine culinaire symbolise très bien ce que je cherche à démontrer : nous continuons de reconnaître des cuisines nationales, mais les effets de l’immigration, de la mondialisation et de la démocratisation des voyages ont fait que l’on propose et consomme dans la plupart des grandes villes un vaste éventail d’autres cuisines. La même chose vaut pour bien d’autres domaines, la musique, la danse et la mode vestimentaire, mais aussi notre deuxième ou troisième langue, nos connaissances particulières et l’intérêt que l’on porte à son pays d’origine. Plus les nouveaux citoyens apportent de connaissances particulières et d’échanges avec des régions du monde que les citoyens de souche connaissent peu, plus cela est bénéfique à tous.
Le principe de diversité dans l’unité (DDU) ne préconise pas que les identités du pays d’accueil gomment les identités des immigrés ou toute loyauté envers leur pays d’origine. Mais il appelle à une sérialisation des identités et allégeances, où la communauté d’ensemble (le pays ou l’Union européenne) fournirait les identités et allégeances globalisantes, au sein desquelles les divers groupes (les Turco-Allemands, par exemple) pourraient préserver leurs sous-identités. L’épreuve de vérité est le conflit des allégeances. Les Américains du Panamá se battraient-ils aux côtés des Etats-Unis si ceux-ci envahissaient le Panamá, ou bien réclameraient-ils le droit de rester en retrait face à ce type de conflit ? Sur des thèmes de politique nationale, les Turco-Allemands s’aligneraient-ils sur Ankara ou sur Berlin ?

L’éducation revêt une importance majeure au regard des rapports qu’entretiendront les immigrés (et leurs enfants) avec leur pays d’adoption. Le modèle assimilationniste part du principe que les immigrés et les membres des minorités seront scolarisés dans les écoles publiques et apprendront la même chose que les autres membres de la société. Le modèle de diversité illimitée prône la création d’écoles séparées et des programmes différents pour chaque groupe ethnique, comme des écoles juives ou musulmanes.
Une approche DDU, fondée sur le concept d’écoles de proximité, propose, dans l’idéal : que tous les enfants fréquentent les mêmes écoles publiques ; que tous les enfants suivent les mêmes cours pendant 85 % du temps scolaire, de sorte que tous les membres de la prochaine génération aient assimilé un enseignement globalement identique, en termes de disciplines, d’orientation narrative et de contenus normatifs ; que les minorités puissent contribuer de manière significative à 15 % des programmes, sous forme de classes optionnelles ou alternatives, dans lesquelles les élèves intéressés par une discipline, une histoire ou une tradition puissent bénéficier d’une éducation plus poussée ; et enfin, que le contenu universel, à caractère unitaire, du programme soit reformulé pour intégrer, par exemple, davantage de cours sur la culture et l’histoire des minorités.
Il reste bien d’autres questions à résoudre dans le contexte de l’approche DDU et beaucoup à apprendre de son application. Le principe de DDU reconnaît le sentiment de l’écrasante majorité des citoyens d’Europe et de nombreux autres pays, du Japon au Pérou, à savoir le sentiment que l’immigration pose un défi à l’unité nationale et à la culture morale dominante. Dans le même temps, le principe de DDU met le doigt sur le fait que l’on peut aussi autoriser, voir encourager les immigrés à préserver des caractéristiques distinctes, à condition qu’ils adhèrent aux valeurs fondamentales.
Amitai Etzioni
Süddeutsche Zeitung